Eric
GEORGE
L'utilisation de l'Internet comme mode de participation
à l'espace public dans le cadre de l'AMI et au sein d'ATTAC
: Vers un renouveau de la démocratie à l'ère de l'omnimarchandisation
du monde ?
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Ecole doctorale : École Normale Supérieure de Lyon / Université
du Québec à Montréal
Discipline: Sciences de l'information et de la communication
Directeurs de Thèse :Jean MOUCHON et Gaëtan TREMBLAY
Jury:
Bernard MIÈGE, professeur en sciences de l'information et de la communication
- Université de Grenoble III Stendhal
Jean MOUCHON, professeur en sciences de l'information et de la communication
- Université de Paris X Nanterre
Serge PROULX, professeur en communication - Université du Québec à
Montréal
Marc RABOY, professeur en communication - Université de Montréal
Gaëtan TREMBLAY, professeur en communication - Université du Québec
à Montréal
Yves WINKIN, professeur en sciences de l'information et de la communication
- École Normale Supérieure de Lyon Lettres et sciences humaines
Date de soutenance:
30 avril 2001 à 14 h (temps universel coordonné)
Lieux :
En vidéoconférence entre Paris et Montréal
- Université de Paris XIII Nord à Villetaneuse 16h00, heure locale
- Université du Québec à Montréal 10h00, heure locale
e-mail:
egeorge@uottawa.ca
web associé:
Résumé
Comme cela a toujours été le cas lors du déploiement d'un
nouveau dispositif communicationnel, le développement du réseau Internet
dans les pays occidentaux, à la fin du XXe siècle, a entraîné une multiplication
de discours déterministes, la plupart du temps optimistes. C'est ainsi
que d'un point de vue sociopolitique, l'Internet a été présenté, soit
comme un moyen de rapprocher gouvernants et gouvernés dans la perspective
de la démocratie représentative, soit comme un moyen de favoriser une
plus grande implication des citoyens et des citoyennes dans la vie de
la Cité dans le cadre d'une démocratie participative. Pour certains
auteurs, dont Jean-Guy Lacroix, Vincent Mosco et Gaëtan Tremblay, ces
discours visent à favoriser la reproduction du système capitaliste.
Érik Neveu met, de son côté, l'accent sur l'édification de mythes autour
d'une prétendue "société de la communication". Or, nous inscrivons notre
démarche dans le cadre des approches démystificatrices en prenant garde
à ne pas produire de "contre-mythe".
Le "réseau des réseaux" ayant souvent été invoqué dans les milieux politique,
économique, académique et journalistique pour expliquer l'échec des
négociations sur l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), nous
nous sommes intéressé à la façon dont un certain nombre d'acteurs sociaux
- des institutions publiques, des syndicats et des associations nouvellement
créées - ont utilisé l'Internet en tant qu'espace public. Par la suite,
nous nous sommes penché plus spécifiquement sur les usages qui se sont
développés au sein de l'Association pour une taxation des transactions
financières pour l'aide aux citoyens (ATTAC), souvent présentée comme
le modèle des nouvelles formes de mobilisation sociale. Enfin, nous
nous sommes interrogé de façon plus générale sur le rôle de l'Internet
dans la démocratisation de nos sociétés.
Trois ensembles théoriques portant sur la notion d'espace public, sur
les différentes conceptions de la démocratie et sur l'utilisation des
dispositifs techniques communicationnels ont balisé notre démarche.
Nous sommes tout d'abord revenu sur les travaux fondateurs de Jürgen
Habermas, qui ont fourni l'occasion à bien des chercheurs et des chercheuses
de réfléchir sur l'espace public. Nous avons également tenu compte de
certains de ses travaux plus récents, ainsi que de ceux effectués par
Yves de la Haye, Bernard Miège, Jean Mouchon et Michel Sénécal sur le
même sujet. Pour aborder la démocratie, nous avons d'abord rappelé ses
deux modèles, celui de la démocratie représentative et celui de la démocratie
participative, puis considéré celle-ci comme une quête, selon l'approche
de Cornelius Castoriadis, pour lequel l'objectif de la politique est
de permettre la formation de citoyens et de citoyennes ainsi que d'institutions
autonomes. Afin de tenir compte des aspects techniques de l'Internet,
nous avons également mobilisé un certain nombre d'enseignements issus
de la sociologie des usages des techniques de l'information et de la
communication (TIC), notamment l'approche de l'appropriation avec les
travaux de chercheurs comme Pierre Chambat, Josiane Jouët, Gilles Pronovost
et Serge Proulx.
Notre recherche a porté sur les sites Web de certains acteurs sociaux,
; des échanges sur trois listes de discussion, "ATTAC-talk", "Contrôle-OMC"
et "liste-SalAMI" ; l'analyse des réponses à des questionnaires envoyés
par courriel à 50 abonnés-es de la liste "ATTAC-talk" ; des rencontres
et des échanges par courriel avec des membres d'ATTAC France, d'ATTAC
Québec et de SalAMI ; ainsi que la lecture d'un grand nombre de documents
publiés par ATTAC et d'autres associations (livres, articles, tracts,
statuts, etc.). Sur le plan méthodologique, nous avons également accordé
une grande importance à la dimension réflexive du travail parce que
nous pensons que la capacité pour le chercheur de tenir compte de la
relation qu'il entretient avec son objet et au-delà avec son travail
constitue l'un des moyens d'améliorer la qualité scientifique de celui-ci.
Parce que l'Internet est le premier système de communication en passe
de se déployer largement qui ne distingue pas, dans son principe, l'émetteur
et le récepteur, les acteurs sociaux voient dans le "réseau des réseaux"
une opportunité de s'adresser au public sans passer par les médias traditionnels.
Celui-ci prend alors place parmi d'autres techniques de gestion du social
dans le cadre des relations publiques généralisées mises en évidence
par Bernard Miège. Nous avons observé également les logiques de la communication
définies par Yves de la Haye puis précisées par Michel Sénécal : les
constituantes de l'État recherchent avant tout le consensus, les entreprises
sont favorables à l'apolitisme et les regroupements de la société civile
essayent d'entretenir la polémique. Ces logiques transparaissent non
seulement à l'étude des contenus mais aussi à celle des formes d'expression
spécifiques de la Toile, à savoir l'architecture en hyperliens. Cela
dit, les potentialités de la Toile - l'architecture en hyperliens mais
aussi la possibilité de s'adresser à un vaste public sans frontière,
la rapidité de mise à disposition de l'information et la pratique de
l'archivage - n'ont pas été systématiquement exploitées dans les cas
qui nous intéressent. Cela tient sans doute au fait que ce nouveau support
est souvent intégré dans les politiques de communication traditionnelles
des organismes étudiés sans modifier quoi que ce soit au processus de
production de l'information.
Faut-il dès lors parler de retard en termes d'appropriation ? Pas nécessairement.
À l'échelle des organismes, l'appropriation des services de l'Internet
dépend non seulement de critères techniques mais aussi de facteurs sociaux,
notamment leurs objectifs, leurs "façons de faire" et leurs modes d'organisation.
Si les services de l'Internet ont été largement mobilisés au sein d'ATTAC,
à la fois en termes quantitatifs avec une utilisation de plus en plus
systématique et en termes qualitatifs avec des usages de plus en plus
diversifiés, c'est parce que l'objectif de l'association - produire
un discours alternatif - les "façons de faire" - annoncées comme étant
démocratiques - et le mode d'organisation - très décentralisé - ont
favorisé le déploiement des activités utilisant l'Internet. Cela dit,
l'appropriation sociale intensive et diversifiée des services de l'Internet
a eu des conséquences importantes au sein de l'organisation sur la façon
dont celle-ci participe à l'espace public. C'est le processus même de
production de l'information qui a partiellement changé et ce, parfois
de façon inattendue. C'est ainsi que la pratique de la traduction de
documents a été introduite sur la liste "ATTAC-talk" avant même qu'il
ne soit question de la création d'un site multilingue ou d'associations
dans d'autres pays. La façon dont ce type d'activités a pris place au
sein de l'association a largement dépendu des usages de l'Internet développés
par les personnes qui se sont lancées dans cette tâche. En revanche,
d'autres activités, par exemple celles du conseil scientifique, se sont
développées de façon plus traditionnelle sans recours à l'Internet,
du moins au départ.
Finalement, en matière d'utilisations collectives de l'Internet à des
fins de participation à l'espace public, nous avons constaté que toutes
les situations peuvent dorénavant exister sur un continuum des possibles.
C'est également le cas au niveau individuel. Les usages effectifs de
cet espace public demeurent fortement diversifiés d'après nos observations.
Les postures vis-à-vis de l'informatique et de l'Internet varient considérablement,
allant d'une activité importante et variée (avec création de site personnel,
collaboration à un site collectif, élaboration d'une lettre d'information
diffusée par listserv, pratique régulière du courrier électronique et
des échanges en groupe grâce aux listes et forums de discussion, aux
chats, etc.) à un rôle plus passif ("simples" navigation sur la Toile
ou lecture de messages échangés sur des listes de discussion). L'Internet
pouvant être considéré comme un système socio-technique qui présente
une certaine "plasticité", nous avons not! é que certains choix techniques,
qui peuvent influencer la dynamique des échanges, n'étaient pas fixés
et qu'ils pouvaient faire l'objet de discussions sur la liste "ATTAC-talk".
Toutefois, ils ne sont discutés que par une petite minorité des abonnés-ées.
Pour la majorité d'entre eux, il semble bien que la technique constitue
une donnée incontournable avec laquelle il faut compter. L'Internet
est d'ailleurs un moyen de communication relativement nouveau pour la
plupart des personnes qui s'expriment. Ceci explique sans doute pourquoi
l'observation des échanges sur la liste "ATTAC-talk" nous a amené à
conclure à la nécessité d'un minimum de règles explicites qui, seules,
permettent de concilier les valeurs de liberté d'expression et d'égalité
devant l'expression. On retrouve en fait la façon dont Jürgen Habermas
conçoit la communication et la démocratie ; c'est-à-dire qu'il s'agit
avant tout d'accepter des procédures qui favorisent l'échange des arguments.
En conséquence, il n'est pas étonnant que pour éviter le renforcement
des inégalités, des membres d'associations comme ATTAC se lancent dorénavant
dans la formation à l'Internet en insistant sur celui-ci en tant qu'outil
de mobilisation sociale et politique. Les usages citoyens de l'Internet
pourraient d'ailleurs contribuer à modifier à moyen terme les relations
et les imbrications entre les trois composantes de la société du point
de vue de l'organisation politique : l'oikos - la sphère privée ; l'agora
- l'espace public ; l'ecclesia - l'espace politique. Les usages de l'Internet
pourraient aussi aider à la formation de citoyens et de citoyennes plus
autonomes en favorisant l'adoption d'un point de vue critique sur l'espace
public médiatique ; la compréhension de la société comme un construit
social dont les composantes et notamment les institutions peuvent être
discutées et remises en question en permanence ; et la remise en cause
de la domination de l'argent comme ultime valeur de nos sociétés. Le
développement des usages de la part de citoyens et de citoyennes à des
fins de participation à la vie politique est d'autant plus important
à suivre que le double processus d'industrialisation-marchandisation
de l'Internet et la convergence, même partielle, entre celui-ci et la
télévision sont susceptibles de recréer une frontière de facto, sinon
formelle, entre production de contenus et "simple" consommation. Or,
faut-il rappeler que les formes futures prises par le capitalisme et
par la démocratie dépendront, entre autres, des utilisations qui seront
faites du "réseau des réseaux", entre outil au service de la reproduction
capitaliste et outil mobilisé à des fins de transformation sociale et
politique ?
Eric
GEORGE est aussi un membre fondateur de la revue électronique
de jeunes chercheur(e)s en SIC, COMMposite : http://www.commposite.org
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(english)
TITLE :
The uses of the Internet as a mode of participation to the public
sphere
within the MAI and ATTAC : Towards a revival of the democracy at the
area
of the omnicommodification of the world ?
ABSTRACT:
Like that was always the case during the deployment
of a new communication
apparatus, the development of the Internet involved a multiplication
of
deterministic speeches. Adopting an undeceiving approach, we have been
interested in the way in which social actors used The Internet during
the
negotiations on the Multilateral Investment Agreement (MAI), the "
network
of networks " having often been called upon to explain this fail.
We also
have considered the uses within The Association pour une taxation des
transactions financières pour l'aide aux citoyens (ATTAC), often
presented
like the model of the new forms of social mobilization. Lastly, we have
wondered about the role of the Internet in the democratization of our
societies. Three theoretical sets marked out our step : work of Jürgen
Habermas, Yves de la Haye, Bernard Miège, Jean Mouchon and Michel
Sénécal
on the public sphere, the approach of the democracy of Cornelius
Castoriadis, for whom the aim of the policy is to allow the formation
of
citizens and autonomous institutions, the sociology of the uses of the
information and communication techniques (ICT) with work of researchers
and
enquiring as Pierre Chambat, Josiane Jouët, Gilles Pronovost and
Serge
Proulx. Our search related to the websites of social actors; lists of
discussion, answers to semi-directing questionnaires, meetings and
exchanges by mail with members of associations in France and Quebec,
and
finally the reading of a great number of documents published by several
associations. The development of the uses of the Internet at ends of
participation in the political life is confirmed to be all the more
significant to follow that the future forms taken by capitalism and
democracy will depend, among other things, on the uses which will be
made
by it.